« Une saillie, 
un retour aux aliments non différés de la source, 
et à son œil amont, 
c’est-à-dire le pire lieu déshérité qui soit » 
(René Char).

Nous ne pouvons nier que chacun de nous ressent un important malêtre de civilisation dans son propre fond. A tous les niveaux de l’humanité, nous nous incluons dans un système d’existence dont seuls quelques notables tiennent les manettes, qui nous use, nous tue, nous castre psychologiquement, en tant qu’individu.

Nous sommes si conditionnés, embrigadés, que nous n’avons pas un moment pour exprimer notre sensibilité profonde. Soit nous adhérons, soit nous contestons, mais à quel moment sommes-nous véritablement nous-même, déployant nos talents personnels.
Les tenants du système n’ont pas besoin du sentiment de transcendance par lequel une personne exprime ce que la vie attend d’elle.

Le type de civilisation auquel nous avons abouti en ce début de vingt-et-unième siècle est le plus barbare qui soit, le pire de tous ceux qui ont existé. 
Il semble que le sentiment d’humanité qui a émergé au fil des siècles se soit dissout durant ces quelques dernières décennies.
Nous existons au sein d’une froidure de pensée, socioculturelle, matérielle de l’individu, femme et homme, dont nous sommes radicalement complices.
Un esclavage.

L’apparent confort matériel dans lequel nous vivons dissimule un capitalisme massif, un néolibéralisme économique, une exploitation dont nous sommes les principaux actionnaires, dont nous attendons qu’il nous fasse vivre et nous fournisse les justifications de notre mode d’existence personnel.
Ce malêtre diffus nous montre que le sentiment d’humanité que nous avons entretenu jusqu’à présent est épuisé, obsolète. 
Il n’est plus temps d’être humain ! 

Nous nous trouvons actuellement à un seuil amont, chacun, femme homme, vivant en survie avec le seul épanouissement possible de sa conscience personnelle pour visée.

Ce n’est pas une régression, un retour à des formes qui furent quelque chose qui n’est plus. Ce n’est pas une nostalgie des origines, mais un élan, un propulsé strictement personnel, un effort d’âme dont nous amorçons le mouvement à partir d’un courage, d’une audace et d’une intelligence qui n’appartiennent qu’à nous, qui ne nous ont pas été enseignés, qui n’ont rien de moral de cognitif ou de sociourbain.

Un nouveau paradigme, ce serait échanger un modèle contre un autre selon un dogme progressiste, or c’est l’idée de progrès elle-même qui est à reconsidérer pour retrouver celle d’évolué à partir de la source.
L’idée de modèle est obsolète. 
Il n’y a plus de paradigme.

Que sommes-nous, qui sommes-nous en tant que nous-même ? 
Comment avons-nous accès à notre humanité de fond pour la considérer de notre point de vue et en témoigner.
La plupart des philosophes depuis les origines ont esquissé la question et tenté d’y répondre. Il s’agit aujourd’hui d’un redéploiement de la démarche philosophique, une métaphysique immanente qui concerne chacun de nous.
Quel sens de fond pour agir de façon juste ?

Si nous prenons le temps de méditer sur nous-même, notre état actuel, nous voyons que nous nous trouvons à un point source de notre conscience, une pleine responsabilité de son usage, qui ne peut plus se référer à aucun repère extérieur pour se frayer une existence cohérente, mais ne s’en remettre qu’à elle-même ; une étrange et inévitable solitude.

Une part de notre évolué humain est contrôlée par les groupes de dirigeants. Une deuxième part est portée par la masse des exploités complices. Une troisième part émerge depuis ces deux dernières décennies par celles et ceux qui font l’effort de modifier l’organisation de l’intérieur, écologistes, militants, contestataires… 
Une quatrième part échappe à ces trois-là. Un nouveau modèle d’existence humaine émerge de lui-même, une mutation originale qui ne ressemble à aucune transformation précédente. Une certaine forme spirituelle qui n’appartient à aucun mouvement d’idée, aucune philosophie, aucune croyance antérieure.

Un redéploiement de ce que furent les premières communautés chrétiennes au sein de l’empire romain, à l’origine d’un nouveau type de civilisation, un nouveau profil de l’humain, mais sans l’illusion messianique et la soumission à un ordre idéologique. 
Personne ne peut sauver l’humanité d’elle-même.

Aujourd’hui, la femme, l’homme, chacun impliqué dans l’évolué du monde, commence par reconsidérer sa propre texture, patiemment, honnêtement, de fond en comble et se discerne lui-même, par rapport au système tel un « paysan maudit », avec l’appui de sa seule conscience fondamentale pour viatique, le meilleur de soi, en admettant que c’est en nous-même que la vie se défend des outrages que nous lui infligeons.

Un regard critique sur notre propre consistance, nos agissements les plus élémentaires, organiques, psychiques, culturels.
Un mouvement métaphysique, une quête de sens qui échappe à un but, un sens pour soi, juste pour être.

Les tenants de l’empire, les esclaves complices de l’empire, les résistants à l’empire poursuivent leur chemin inexorablement, pendant que des individus, femmes, hommes, se parlent, se disent les choses sur un autre ton, avec d’autres intentions, et en commençant par un regard rigoureux sur leur propre visage.

Patrick Artoan – 141119