Vernissage du 7 juin 2018 à La Cuisine Labo Franck Munster - Exposition photographique « Les engloutis #humains » Bernard Brisé
Ce soir là, Patrick Artoan capté par l’esthétique contagieuse des photos présentées, a rédigé cet article.
Énigmes à voir
Una mirada no dice nada, y al mismo tiempo lo dice todo. (Un regard ne dit rien, et en même temps il dit tout) Chanson mexicaine.
La vocation du visage est de nous donner à voir, et, peut-être, révéler qui nous sommes, visage de femme, visage d’homme.
Qu’en est-il ici ?
Nous nous plaçons dans un état de simple présence pour l’œil obturateur qui cligne et retient ce moment, en fait un instant témoin d’âme.
Les traits sont traduits en finesse, en précision. Rides et ridules, lignes qui ne fuient pas mais sinuent, soulignent et décrivent le paysage complet d’un territoire de sensibilité personnalisée.
Une émotion contenue dans la candeur de son mystère personnel.
Mystère demeuré mystère, laissé en suspens à l’étonnement, à la patience ou au questionnement plus insistant du regard qui s’attarde au cœur de ces noir-et-blancs.
De face, nous lançons une question :
– Que regardes-tu ainsi passant du soir, que souhaites-tu surprendre ?
De profil, nous invitons à un autre point de vue :
– Quant à moi, je regarde là-bas, là-bas…
De trois-quarts nous hésitons. Affronter ou se dérober, s’avouer et conserver une part de soi que nul ne devinera ?
Les cheveux ornés de points d’argent ou ramassés en locks enchevêtrées sont encore visage.
Une femme enveloppe sa frimousse dans cette toison, la dissimule-t-elle ? N’est-ce pas pour mieux montrer encore une énigme ?
Notre pudeur est l’aveu d’une secrète jouvence que nous alimentons sous notre durée.
La nudité ? Un corps réel présenté plus qu’exhibé, attesté plus que dévoilé.
Le noir et blanc accentue l’essentiel des contours, du volume.
Pour la femme noire, l’ombre est-elle blanche ?
Ces seins sont aussi nus qu’un visage.
Ils le prolongent ou le précèdent, l’amplifient, font corps avec lui. Ils montrent la même énigme afin qu’on oublie, un instant, leur fonction ; ils ne sont ici ni de mère ni d’amante. Durant l’instant du regard qui les captent, ils témoignent du sens d’une beauté initiale, dépouillée de tout artifice.
La main est aussi un visage.
Offrande d’un coquillage, d’un poisson, d’une paume ouverte…
Double signe, attente annoncée : être reçu !
Mais que faire d’une coque vide, d’un poisson suspendu ?
En apprécier selon le liseré, la forme induite, y reconnaître l’allusion originaire.
D’où vient notre visage ? D’un fond d’abyme, élevé à la surface, au plus haut de la charpente du corps ramené ici au torse, afin d’être vu, reconnu en tant qu’être unique.
Immersion dans une buée verticale qui accentue le voyage, l’eau accompagne ces faciès à se laisser soupçonner, elle insinue à peine quelque possible émoi, une larme pourrait venir de l’œil, une sueur pourrait sourdre d’un effort…
Elle anime le profil, goutte transparente qui suscite la transparence de la face tenue dans l’air liquide.
Deux transparences dialoguant à propos de la pertinence des reflets.
En laboratoire, le strié, l’écorché, l’hachuré, le tacheté comme un aubier d’arbre, afin d’agrémenter la discrète confidence.
Lancer l’éternité du faciès humain vers ses variétés visibles.
Sur le papier imprimé, le visage devient intouchable, inaccessible en sa chair, et pourtant plus visible encore.
Tout ceci afin de ne pas oublier que nous sommes visage.
Oui, le mystère est préservé sous cette libre allégorie si élémentaire.
Il se poursuit en nous, renvoyant le silence de ces aplats à notre volume intérieur, à nos propres jeux d’ombre et de lumière, et qui salue le passant du soir cheminant entre clarté et crépuscule, distillant la parole qu’il lui inspire…
Patrick Artoan 06.2018
Cette série a fait l'objet d'une publication : Les engloutis #humains (éditions L'Atelier des Brisants / format 18cm x 24cm - 35 photographies en bichromie accompagnées d'un texte inédit de Christophe Massé) photos © Bernard Brisé