Présent lors du vernissage de l'exposition de Bernard Ouvrard à la Galerie DX le 6 septembre 2018, Patrick Artoan a noté sur le vif ses impressions inspirées par le travail du peintre girondin.

« Seule la matière en couches polies, triturées, effacées, travaillées peut dire tous les mystères, les cicatrices, les plis, les courbes, la beauté comme la complexité de l’humaine condition. » Bernard Ouvrard

Couleurs confidentes
l’art de l’aplat révélateur du visage humain

 

Une ombre intense pour fond constant, des aplats d’un blanc varié, imagé, collé pour plan de travail, et cette décisive dualité pour support à la variété mouvante de la couleur, étirée, pointillée, agrémentée, qui sinue en surface, glisse en glacis interpénétrés – des plans d’architecte signalant au passage le besoin de mettre un peu d’ordre dans cette effusion.

Chantier de mise à jour qui se prolonge en même temps qu’il s’érige. Mystère qui se creuse à mesure qu’il se dévoile.
Tout est dit alors que tout reste à dire, et c’est seulement ainsi que notre âme consent à se montrer. 

Le volume est laissé en instance.
La profondeur est suspendue, à peine promise…
L’itinéraire balisé se limite aux arrêtes du tableau, mais suggère la plus haute distance.
Si nous allions plus loin, risquerions-nous de nous perdre ?

Un artisanat de l’abstract nous est proposé. 
Il demeure accessible, il ne s’évade pas, ne tutoie pas l’éther, mais garde sa texture humaine, sa sueur, son émoi dans la diagonale de la toile.
Envoi, « pour voir » – comme on dit au poker quand on livre son jeu tenu secret.
Alors, à nous de jouer avec ces signes fléchés, nous déployer nous-même plus loin si nous le souhaitons, si nous le pouvons. Etirer notre matière comme un souffleur de verre son cristal, un forgeron son métal, un tanneur son cuir, un joailler son fil d’or…

Nous déambulons dans cette salle de miroirs où en quelques dizaines de tableaux, notre espace intérieur nous est soudain insinué dans sa transparence.
Esquisses de figure, approche de visage, faciès par endessous où notre âme se cherche, s’explore sans se dire complètement, laissée à l’état d’ébauche mais fouillée, traitée sous maintes coutures, tracée sous la plupart de ses angles, aigus ou obtus. 
Nos traits décimés pour lieu de message. 
Ages d’une âme fragmentée, livrée en puzzle, puis en pièces reliées.
Les parties et le tout cohabitent et disent cette énigme que la couleur décompose pour mieux l’exposer puis recompose pour la décrypter.

Oui, ce sont bien là nos visages, tous différents mais d’une même tribu, d’un même univers de signes, déterritorialisés, immigrés en ce pays de cimaises, afin de faire vibrer les murs. 
Oui, nous reconnaissons nos modes de conscience denses ou élevés, cachés ou peut-être même ignorés.
Faisceaux de lignes d’intensité, « cicatrices, plis, courbes », avec leurs lacets, rubans, itinéraires en boucle, afin d’aller au centre, à la trace ou au point rouge – toujours présent dans tous les tableaux -, centre-cœur d’où tout part et où tout revient.

Nos visages ont trouvé un maître qui livre leur écho silencieux et informel. S’il y a des cris, ils sont contenus, s’il est des murmures, ils nous appartiennent…
Et il nous reste nos mots inspirés par ces toiles de Bernard Ouvrard, échangés en ce soir, à la galerie DX, pour viatique à notre route buissonnière…

 

Patrick Artoan - 060918